Long is the Road... } Samuel

Shanleigh porta son doigt à ses lèvres, poussant un petit couinement surpris. Le goût métallique de son propre sang sur sa langue la laissa songeuse. Ses sourcils clairs se froncèrent sans qu’elle en est conscience, tandis qu’elle se replongeait quelques jours en arrière. Le jour où douze adolescents provocateurs et inconscients s’était engouffré dans le ventre du Mal. Il n’y avait pas eu d’effusion de sang ; pas de massacre à proprement parlé. Il n’y avait eu que six brancards occupés et recouverts d’un drap d’un blanc immaculé. Six enveloppes charnelles dénuées de vie ; six individus à qui ont avait coupé l’herbe sous le pied et allaient être jugés. Si bien sûr la Force résidant au 112 Ocean Avenue autorisait leurs âmes à rejoindre les portes du purgatoire...

La jeune femme s’arracha à ses pensées et ôta son doigt blessé de sa bouche. Elle termina rapidement de fixer sa broche sur son châle et, une fois parée, attrapa son sac à main. Ses bottines usés claquèrent sur les marches du perron lorsqu’elle quitta son imposante demeure d’un pas pressé. A mi-chemin du portail pourtant, elle se figea et leva son regard clair vers le ciel dégagé de tout nuage. Le soleil à son zénith réchauffait déjà sa peau d’albâtre, parsemée de tâches de sons. C’était une belle journée et elle penserait à remercier le Seigneur pour sa clémence ce soir. Mais pour le moment, elle devait rester concentrée sur la mission qu’elle s’était fixée et qui ne serait certainement pas de tout repos… mais Shanleigh avait la force nécessaire pour surmonter cette épreuve, elle le savait. Dieu guidait ses pas et lui soufflerait les mots justes à employer avec le cadet des Keller.
Elle avait d’abord pensé qu’il serait plus judicieux de lui laisser le temps de réfléchir à ce qu’il avait fait et d’attendre qu’il vienne de lui-même se présenter à Dieu et demander pardon. Puis elle avait entendu les gens le plaindre, les plaindre tous. Les survivants. Voilà comment on les surnommait tous les six en ville. Pour Leigh, ils étaient les complices de meurtres violents ; rien de plus, rien de moins. Ils avaient décidés de pénétrer la demeure du Malin et Il les avait accueillit comme on attend qu’il le fasse. Ils n’étaient pas à plaindre, ils étaient à blâmer. Oh pas tous évidemment, certains n’étaient que de pauvres moutons trop stupides pour dire non et c’est pour leur bêtise qu’on devait les condamner. Mais lui… lui qui les avait guidés dans Son antre… lui il fallait qu’il paie ; qu’il demande pardon pour ses crimes et que son âme soit remise entre les mains du Seigneur, le seul vrai juge.

Forte de cette pensée, Shanleigh détourna son visage da la voute azurée et se remit en marche d’un pas pressé et décidé. Elle salua chaque habitant qu’elle croisa sur sa route jusqu’au fast-food. Des salues qui, la plupart du temps, ne lui furent pas rendu. Mais elle se moquait d’être appréciée ou non de ses concitoyens, tout se payait un jour. Elle pourrait se montrer la tête haute devant les portes du Paradis, elle ne pouvait pas en dire autant d’eux tous...
Après une bonne demi-heure de marche, la jeune femme atteignit enfin le bouge dans lequel tous les jeunes de la ville venaient se sustenter. Elle n’y avait mangé en tout et pour tout qu’une fois dans sa vie. Le très respectueux Père Williams l’y avait invitée et ils avaient beaucoup ris à défaut de réellement manger. Un sourire étira les lèvres rosées de la petite rousse tandis qu’elle se laissait submerger par ses souvenirs. C’est à ce moment qu’elle l’aperçut au travers de la vitre. Samuel Keller. Ses cheveux bruns en batailles retombaient sur son front, contrastant avec la pâleur de son teint. Des cernes soulignaient son regard absent. Les affres de la culpabilité... cette vision ne fit que s’élargir encore le sourire de Shanleigh. Elle espérait de tout cœur que ses nuits étaient agitées de cauchemars. Il méritait au moins ça !

Faisant disparaitre son sourire, l’éclat dément de ses yeux s’estompant un peu, la jeune femme pénétra dans le fast-food. Quelques regards tantôt interloqués tantôt curieux se posèrent sur elle mais elle n’y prêta pas la moindre attention. Elle avait appris à ne plus faire attention aux jugements des autres, peu importe s’ils étaient bons ou mauvais. Dieu était seul juge encore une fois.
Dans des gestes délicats, elle alla s’asseoir à une table à l’écart, près de la baie vitrée. Elle tira sur sa jupe longue pour en faire disparaitre les plies puis patienta, ses bras croisés sur ses cuisses, un vague sourire engageant aux lèvres. Après une bonne minute, Samuel, seul employé de service à cette heure s’approcha, vraisemblablement à contre cœur, les mâchoires crispées et l’air tendu. Evidemment, feignant de ne rien avoir remarqué de son agacement, elle lui servit son plus beau sourire.

« Bonjour, Monsieur Keller » lança-t-elle de sa voix diaboliquement douce où perçait tout de même une note moqueuse

Shanleigh ne s’offusqua en rien de l’attaque chargée de sarcasme de son jeune interlocuteur. Depuis tout petit, Samuel n’avait toujours été qu’un grossier personnage trop sûr de lui. Et l’arrogance était un défaut que la rouquine ne tolérait que très moyennement. Mais elle était au-dessus de ce genre de remarques, même si celle-ci ne manquait pas d’inventivité ; elle lui accordait bien ça. Le cadet des Keller avait toujours été un garçon pour le moins créatif, surtout dans le domaine de la fourberie. Malheureusement pour lui et pour beaucoup d’autres habitants d’Amityville, sa dernière idée avait coûtée la vie de six jeunes gens.
Dans des gestes lents et délicats, la jeune femme joignit ses mains devant elle en appuyant ses coudes à la surface polie de la table, et se pencha davantage vers son interlocuteur. D’une voix doucereuse, un rictus étirant ses lèvres finement ciselées, elle répliqua.

« Mais le serpent de notre Bible n’est-il pas tentateur ? N’est-il pas le séducteur habile et fourbe qui conduira l’Homme à sa perte ? Si vous aviez suivi vos cours de catéchisme comme tous vos petits camarades, vous sauriez que c’est le cas et, si je ne m’abuse mon jeune Monsieur Keller, ce rôle parait vous siée bien mieux qu’à moi-même… Si vous voyez évidemment où je veux en venir »

Et Shanleigh ne doutait pas qu’il voit pertinemment où elle voulait en venir. Elle n’avait pas voulu lancer les hostilités aussi vite mais puisque l’insolent semblait décidé à la malmener, pourquoi n’aurait-elle pas droit d’assurer sa défense ?
Bien sûr, on lui avait apprit à tendre l’autre joue, mais la jeune femme n’avait jamais été capable d’appliquer ce dicton de toute sa courte vie. Mais elle était humaine après tout et avait ses défauts comme tout à chacun. Personne n’est parfait après tout.
Pourtant, la rouquine décida très rapidement d’adopter une nouvelle tactique et de changer de comportement. Avant que Samuel n’ait pu répliquer –et à en croire l’expression de son visage, il y avait fort à parié que sa réaction aurait été virulente- elle reprit d’un ton posé, une expression affligée peinte sur son visage pâle.

« Je vous demande pardon, je ne sais pas ce qui m’a pris de vous parler de la sorte » dit-elle comme si le texte avait été mémorisé « Ce n’est ni l’heure ni l’endroit de vous accabler… »

Elle ne comptait pas s’excuser de ce qu’elle avait dit bien entendu. C’était simplement une manière de lui dire qu’il valait mieux calmer les esprits pour le moment mais qu’elle ne comptait pas en rester là. Connaissant le caractère impétueux du jeune Samuel, il y avait peu de chances qu’il laisse couler et se contente de prendre sa commande. Peut-être même lui demanderait-il de quitter les lieux. Et elle le ferait évidemment, pour ne pas faire d’histoires. Seulement elle partirait la tête haute.

« Je suppose que le fast-food ne propose pas de plat du jour » enchaina Shanleigh d’un ton badin et chantonnant, comme si elle venait de lui faire une remarque particulièrement cocasse